Les jeunes Chinois voient rouge

Yoshie Furuhashi furuhashi.1 at osu.edu
Thu Jul 13 11:07:17 PDT 2000


Les jeunes Chinois voient rouge

La révolution revient à la mode pour dénoncer la corruption.

Par ANNE LOUSSOUARN

Le mardi 11 juillet 2000

Pékin correspondance

Les filles, à droite de la scène, incarnent des diablotins féodaux, libidineux, ou exploiteurs. «Cette conne de révolution (...). La révolution c'est comme lire la Bible», vocifère la pire, Cruella version SM, gainée de vinyle noir et juchée sur des bottes dominatrices. Une autre reprend: «Les prolétaires ne sont nullement des forces avancées, ce sont les plus arriérés, des ordures.» A gauche, les garçons, cintrés dans des bleus de travail, défendent la révolution la poitrine en avant. «La révolution est de faire manger ceux qui ont faim. Là où existe l'oppression vient la révolte.» A la fin de la pièce, les acteurs entonnent l'Internationale en brandissant le drapeau rouge frappé du marteau et de la faucille, l'assistance suit le rythme en claquant les mains. La pièce Che Guevara a fait sensation à Pékin fin mai et les scénaristes prévoient bientôt une tournée des universités.

Température. Salles combles, invectives ou louanges, la troupe de la pièce a tout essuyé. Les jeunes adorent, mais certains adultes, blessés par ces harangues sur une révolution revisitée mode, détestent. «Quand c'est le parti qui parle de révolution, personne n'y prête attention! Mais je me rends compte qu'on a heurté beaucoup de spectateurs en disant par exemple "protéger le socialisme jusqu'à la mort", estime Huang Jisu, auteur de la pièce controversée. On nous accuse de surfer sur l'idéologie à la mode avec nos attaques contre l'impérialisme américain, mais ce qui est à la mode, c'est le libéralisme.» Discrètement, les hauts dirigeants chinois ont envoyé des membres de leur famille ou leurs secrétaires tâter la température de la salle de théâtre. «Même le secrétaire militaire de Jiang Zemin est venu», assure le scénariste. Si la gauche en Chine avait tendance à être incarnée par des gérontes fossilisés dans leur idéologie, on assiste, ces derniers mois, à la montée en puissance de ce que les intellectuels chinois appellent la «nouvelle gauche», au profil plus inhabituel: étudiants revenus d'études à l'étranger, très au fait de la vie du globe grâce à l'Internet, brandissant un étendard plus rouge que celui du Parti communiste.

Purge. Une tendance qui peut cependant emprunter les réflexes du passé. Au printemps, le quotidien ultraconservateur Clarté publiait ainsi des lettres d'étudiants de l'université de Pékin dénonçant leurs professeurs jugés trop libéraux. Anti-OMC, antimondialisation, nationalistes, les tenants de la nouvelle gauche sont aussi très critiques envers les inégalités sociales, créés par vingt années de réformes. «Le Parti communiste actuel est une nouvelle classe capitaliste composée de petits et grands bureaucrates. C'est un parti décadent corrompu à un point inimaginable. Mais je crois à l'idéal communiste», confie Huang Jisu. Selon Jean-Philippe Béja, sinologue, «la nouvelle gauche, plus jeune, n'est pas liée aux plus conservateurs du parti». Sa montée en puissance coïncide avec une purge archaïque d'intellectuels libéraux dont Li Shenzhi, ancien vice-directeur de la prestigieuse Académie des sciences sociales, un vivier de conseillers gouvernementaux. Le mois dernier, une journaliste au verbe fort a été rétrogradée au sein du Journal juridique de Shenzhen. He Qinglian est en effet l'auteur d'un pamphlet les Pièges de la modernisation, critiquant les abus de pouvoir, la corruption et le fossé grandissant entre les riches et les pauvres. Mais ce n'est pas tant son ouvrage, publié il y a plusieurs années, qu'un article sur les tensions croissantes entre classes sociales qui a soulevé la colère des autorités.

Pour certains, la nouvelle gauche est instrumentalisée par le pouvoir. «Li Shenzhi a été le conseiller diplomatique de Deng Xiaoping et Zhao Ziyang. Si les tenants de la nouvelle gauche se permettent de critiquer des gens à ce niveau, ils sont certainement soutenus par des gens encore plus importants hiérarchiquement», estime un philosophe libéral spécialiste du marxisme-léninsme qui, signe de la tension dans les milieux intellectuels, préfère rester anonyme. Il ne tarit pas de critiques à l'égard de ces nouveaux partisans de la révolution. «C'est de l'hypocrisie pure. Les intellectuels de la nouvelle gauche connaissent très bien les côtés positifs des systèmes occidentaux. Ils veulent juste s'attirer les faveurs du régime», estime-t-il.

Mode rouge. La mode du drapeau rouge a également pris dans certains cercles artistiques, en témoigne le webzine culturel Drapeau rouge lancé par des jeunes. Le magazine J'aime le rock publiait également en mars une biographie de Che Guevara et les écrits du soldat «Lei Feng», héros de la propagande des années Mao. Une figure pourtant tournée en ridicule par la plupart des Chinois. Cette bouffée de mode rouge est certes cantonnée aux milieux intellectuels ou artistiques, mais est significative du mécontentement grandissant vis-à-vis d'un parti perçu comme irrémédiablement corrompu.

Parallèlement au durcissement contre les intellectuels libéraux, le parti a lancé la nouvelle campagne politique des «trois représentations» (le parti étant représentatif des forces économiques, culturelles et technologiques avancées du moment) et a recours à des nouveaux chants révolutionnaires pour promouvoir le politiquement correct dans les rangs de l'armée. Les soldats ont jusqu'au 1er août pour apprendre ces huit nouveaux chants louant abnégation et loyauté au parti.

http://www.liberation.fr/quotidien/semaine/20000711mari.html



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