[Le Monde] Nissan and Carlos Gosh (In French)

Jean-Christophe Helary helary at eskimo.com
Mon May 29 18:27:32 PDT 2000


I read it this morning before going to work. Interesting to see Nissan through Gosh's eyes. Obviously there is a huge potential in the Japanese economy, just a matter of kicking the right ass :-)

JC Helary

Carlos Ghosn utilise une thérapie de choc pour sauver Nissan

Nommé il y a un an à la tête du constructeur japonais avec pour mission de redresser les comptes et les ventes du groupe, l'ancien numéro deux de Renault explique, dans un entretien au « Monde », sa stratégie : faire comprendre l'urgence de la situation Mis à jour le lundi 29 mai 2000

CARLOS GHOSN, nommé en juin 1999 à la tête de Nissan, est le premier étranger à diriger une entreprise japonaise. Ce polytechnicien de 46 ans d'origine libanaise, né au Brésil, a commencé sa carrière chez Michelin avant de devenir directeur général adjoint de Renault. Le constructeur français, après avoir pris 36,8 % du capital de Nissan, en mars 1999, a chargé M. Ghosn de redresser l'entreprise japonaise en difficulté.

« Qu'avez-vous perçu à votre arrivée au Japon ?

- En arrivant chez Nissan, j'ai observé un décalage entre la perception des dirigeants et la réalité de l'entreprise, la stratégie définie au sommet n'était pas partagée, il régnait un réflexe typique dans les entreprises en déclin : on renvoyait la responsabilité des problèmes sur l'extérieur, par exemple en invoquant le contexte économique.

» Nissan a fait sept années de pertes sur huit exercices, sans réagir. Pour comparaison, Renault a fait une perte en 1996. La première en dix ans, et la situation s'est rétablie. Nissan n'avait pas le sens de l'urgence, mais cela commence à changer. En disant que je ramènerai Nissan à la profitabilité dès cette année, j'ai, de fait, instauré cette notion d'urgence. Si j'avais écouté tous les conseils qu'on m'a prodigués, je n'aurais pas fait grand-chose. Il ne faut pas être complaisant en se disant : il faut du temps au Japon, c'est une culture différente, etc. Là, vous mettez déjà les gens dans une situation de confort. J'ai préféré dire : la situation est inacceptable et ne peut être tolérée. Nous devons faire tout, tout de suite.

- Que faites-vous pour que ce sens de l'urgence se diffuse dans l'entreprise ?

- Désormais, il n'y a plus d'objectifs sans délais. C'est une surprise chez Nissan et le premier délai qui m'est donné n'est en général jamais acceptable. Il faut que ces objectifs soient exigeants, pas forcément faciles à tenir. Le Japonais aime les défis. Pour l'instant, tous les délais importants sont tenus.

- Vous avez choisi une communication de crise pour faire bouger les choses. Le message a-t-il été difficile à faire passer ? - Au contraire, cela a été très facile. J'avais trois courbes dans ma poche : l'évolution des parts de marché de Nissan, celle de la dette et celle des profits sur dix ans. Les Japonais sont des gens pragmatiques. Ils savaient que l'entreprise avait besoin d'un sursaut. Plus la situation de l'entreprise est délicate, plus la communication doit gagner en précision, en simplicité et en clarté. Elle doit être comprise depuis l'ouvrier jusqu'à l'analyste financier. Au Japon, quand les gens ne bougent pas, c'est plus parce qu'il n'ont pas compris que parce qu'ils ne sont pas d'accord. Pour plus de précision, je communique principalement en anglais. Si je m'exprime en japonais, je demande systématiquement que mes déclarations me soient retraduites en anglais pour vérification.

- Sur qui vous êtes-vous appuyé ?

- J'ai été surpris par la profonde volonté des gens de Nissan de s'en sortir. Certains m'ont dit que l'entreprise avait besoin de leadership, de patrons qui assument leurs responsabilités. C'est contraire à l'idée que l'on se fait des entreprises japonaises où la fonction essentielle des patrons est de veiller à l'ordre social. J'ai trouvé des relais partout où j'ai senti qu'il y avait un appétit de réaction : au sommet, au niveau du « middle management », chez les jeunes... Des équipes transverses ont été créées sans prendre en compte l'ancienneté ou l'expérience. Leurs responsables n'étaient pas des dirigeants. Ils ont créé leur propre réseau pour constituer ces équipes. Il fallait rapidement permettre aux salariés de proposer des solutions sans tabou et sans a priori.

- Concrètement qu'avez-vous changé ?

- J'avais noté une absence de stratégie, nous sommes en train de la construire. Tout le monde était focalisé sur la gestion de la dette, il n'y avait plus de plan à long terme, pas de justification claire des efforts qu'on demandait aux salariés. A force, on perd la substance de l'entreprise, on fait les choses par habitude, par tradition et non par finalité.

» La notion de profit, absente elle aussi, commence à être intégrée. Désormais, les bonus des cadres sont fondés sur la rentabilité et peuvent représenter jusqu'à 35 % de la rémunération. Plus de 500 dirigeants bénéficient de stock-options. Le groupe n'était pas géré globalement : Nissan était une entreprise japonaise avec quelques entreprises affiliées. J'ai supprimé les postes de présidents aux Etats-unis et en Europe pour obliger l'équipe japonaise à s'intéresser au marché global. Cela a amené une plus grande transparence et une meilleure coordination entre les opérations régionales et le siège.

- Quels sont les autres dysfonctionnements que vous cherchez à faire disparaître ?

- Il n'y avait pas de véritable orientation client chez Nissan. L'important était ce que faisaient les concurrents mais, finalement, le client était une abstraction. Nous avons, depuis un an, suspendu deux projets de nouvelles voitures. On ne voyait pas clairement en quoi elles allaient se différencier des voitures existantes, à qui elles étaient destinées. On ne lance pas des voitures dans ces conditions. Désormais, il n'y a pas un produit qui ne soit lancé sans une analyse de marché, une définition de la cible de clientèle, un engagement sur la rentabilité et le niveau de ventes. Les décisions sont prises au cours d'une réunion que je dirige avec certains membres du comité exécutif. Nous bombardons de questions les responsables des projets pendant plusieurs heures. Nous voulons des engagements précis et un produit ciblé. Nous avons créé un marketing. Cette fonction était éparpillée dans l'entreprise et il manquait une réflexion globale.

- Vous avez critiqué les féodalités dans le groupe. Que faites-vous pour y remédier ? - J'ai fait comprendre aux responsables du comité exécutif que cela n'était plus les règles du jeu. Il ne doit pas exister de chasse gardée. Je sens qu'il y a désormais un effort pour travailler de façon plus transversale.

- Avez-vous remplacé des personnes qui n'arrivaient pas à rentrer dans ce nouveau fonctionnement ?

- Oui, il y a eu beaucoup de changements, notamment au niveau des équipes commerciales. Plusieurs dizaines de personnes ont pris des responsabilités différentes. Le comité international, récemment créé, est constitué de nouveaux venus. Il y a beaucoup de gens très bien à l'intérieur de Nissan. Le défi est de les mettre en condition pour qu'ils puissent exercer leurs responsabilités.

- Avez-vous modifié les grilles d'évaluation ?

- C'est simple : la première grille d'évaluation, c'est la performance. S'il n'y en a pas, on ne va pas plus loin dans l'évaluation. Être, c'est important. Mais faire, dans une entreprise, ça l'est encore plus.

- Combien de temps ce genre de management dans l'urgence peut-il durer ?

- Après les résultats 2000 et le retour des profits, Nissan sera toujours à l'hôpital mais sortira des urgences. Dans trois ans, nous sortirons définitivement de l'hôpital. De manière réfléchie et adaptée, la communication de crise peut fonctionner pendant trois ans.

- Vous y allez plutôt fort... - J'y vais fort mais je n'ai pas le choix. Je ne le fais pas par plaisir. Quand il y a crise, il faut un type de management de crise. Quand on est sorti de la crise, il faut manager autrement. L'art du management consiste à l'adapter en fonction des circonstances.

- Que faites-vous maintenant que vous n'auriez pas fait à votre arrivée ?

- Il y a des signaux que j'apprends à décoder. En début d'année, je n'ai pas assisté à la traditionnelle réunion de voeux organisée avec les fournisseurs. J'étais au Brésil. Deux semaines après être rentré, j'ai découvert que les fournisseurs n'avaient pas apprécié mon absence. C'était pour eux une forme de respect que d'être présent. Je vous assure que je ne raterai pas cette réunion l'année prochaine. Egalement, en février, je suis allé rencontrer des concessionnaires. J'ai commencé par expliquer mon plan d'action. J'avais prévu de les écouter ensuite. Ce fut une erreur. Ils ont eu l'impression de ne pas avoir été entendus. Lors d'une autre réunion, je n'ai pas fait la même erreur et le retour a été beaucoup plus positif. En France, pour être crédible, il faut commencer par des considérations générales avant de parler de choses précises et concrètes. Au Japon, c'est l'opposé. Il s'agit de faire cohabiter ces deux types de fonctionnement. C'est un apprentissage quotidien.

- Avez-vous l'impression de changer ?

- J'apprends beaucoup. Au Japon, il faut faire preuve de beaucoup de modestie. Etre tout le temps à l'écoute. Les Japonais sont très pudiques et polis. La première phrase n'a pas d'importance, c'est la deuxième qu'il faut écouter. Si un Japonais vous dit : « La réunion était intéressante, tout comme M. Ghosn, cependant... », c'est à partir de là qu'il faut prendre des notes et agir pour remédier au problème. C'est ce qui vous rend crédible par la suite. Le Japon est une école de patience. Je remarque que je suis plus patient qu'avant : c'est peut-être l'âge ou parce que je deviens japonais ! »   Propos recueillis par Laure Belot et Stéphane Lauer

100 % Nissan et 100 % Renault

Carlos Ghosn avoue ressentir « une appartenance de fond à Renault et une appartenance active à Nissan », ajoutant qu'en interne il est pleinement « considéré comme le patron de Nissan ». L'autonomie entre Renault et Nissan est-elle possible ? « Il y a bien sûr une autonomie. En me nommant à la tête de Nissan, il était évident qu'on me faisait confiance et qu'il fallait me laisser les coudées franches. Le contrat de base est clair : ce que je fais, c'est dans l'intérêt de l'alliance Renault-Nissan. Nous avons avec Renault une approche commune à long terme, même s'il peut y avoir conflit sur des micro-décisions. »

Il y a six mois, Carlos Ghosn avait surpris Renault en annonçant sa démission si Nissan ne revenait pas aux bénéfices en mars 2001. « Cette déclaration a jeté un certain trouble, reconnaît-t-il, mais je n'ai pas l'intention de lâcher Nissan au milieu du gué. Je voulais surtout démontrer en interne la confiance que j'ai dans la réussite du plan. »

Le Monde daté du mardi 30 mai 2000



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