Samir Amin on Islam

Yoshie Furuhashi furuhashi.1 at osu.edu
Sat Nov 30 00:15:15 PST 2002


***** Rethinking Marxism 6.3 (Fall 1993)

In this issue our first document is Samir Amin's reflections on culture and ideology in the contemporary Arab world. Characteristically, Amin puts forward several strong theses about the rise of what has been called "Islamic fundamentalism" in Arab nations. He begins with the claim that the dominant culture in the world, that which informs and permeates both centers and peripheries, is "capitalist culture." Amin is quick to add that it is mistaken to see the dominance of "western" culture and the reactions against it as outside the framework of the prevailing culture of world capitalism. In Amin's view, it is the "submission of both the political and ideological realms to the logic of the economic one" that has stamped global culture as primarily capitalist. This thesis has direct bearing on Amin's consequent argument that the forms of ritualized traditionalism that are today frequently labelled Islamic fundamentalism are neither simple holdovers from precapitalist societies nor resistances to contemporary occidentalism. In these current movements to revive and perpetuate Islamic "tradition," Amin finds the signs of the polarization of the world capitalist economy and the firmly ensconced peripheral condition of the Arab world. That is, while capitalism as a global economic and cultural system is oriented toward universalism and unity, it is a polarized capitalism in which there continues to exist a "deep contrast between its centers and peripheries." This polarization, then, has had an unmistakable effect on the various projects in the third world, and of course among Arab nations, to "catch up" through various projects of "modernization" since the nineteenth century. The effect on culture of both this polarization and the resulting failure of successive modernizing projects has been the failure in the realm of Arab culture to successfully reconcile faith and reason, a goal, Amin notes, that was in fact often achieved in the premodern tributary cultural "metaphysics" of the Islamic world. The tendency for faith and reason to remain irreconcilable and for Islam to be increasingly reduced to ritualistic traditions by its most fervent adherents -- even those committed to its renewal and renovation -- is not, Amin thinks, a defect inherent in Islam itself but reflects more accurately the current cultural schizophrenia of the Arab world, whose peripheral position within the global capitalist economy prevents it from completely absorbing the forms of culture and politics that are found within the capitalism of the centers.

In Amin's estimation, the cultural revolution that could fully reconcile faith and reason in the best fashion of historic Islam and produce a "true interpretation of religion" is impeded by the fact that most Arab countries remain subordinate within the world division of production and trade-at best they have achieved the status of a "compradorial bazaar." Thus, as Amin sees it, it should come as no surprise that with the blocked development of capitalist modernization, popular struggles in the Arab world should today take the form of an affirmation of Islamic cultural identity rather than an assault against what he terms the "real" conditions that confer peripheral status.

<http://www.nd.edu/~remarx/rm/rm6-3.html> *****

***** _Social Compass_ 46(4), 1999, 545-561 POINT DE VUE VIEWPOINT

Samir AMIN

Judaïsme, christianisme, islam: réflexions sur leurs spécificités réelles ou prétendues (vision d'un non théologien)

... Du débat ancien: concilier foi et raison au débat moderne ou laïciser le pouvoir social

Proclamer que Dieu seul est législateur est bien beau en théorie, mais fort peu pratique. Musulmans et chrétiens vont en faire l'expérience dans leurs aires respectives.

Hautement civilisées, les sociétés du Moyen Age musulman et européen, se heurtent à un problème majeur, le même: comment concilier la foi -- plus précisément leur religion qui est le fondement de la légitimité du pouvoir -- et la raison -- dont on a besoin chaque jour non pas seulement pour régler les petits problèmes de la vie technique et quotidienne, mais également pour inspirer des lois et règlements en réponse à des besoins nouveaux.

Musulmans, chrétiens et juifs de la diaspora vont résoudre ce problème de la même manière, par les mêmes méthodes (la scolastique aristotélicienne) -- qui ne sont ni juives, ni chrétiennes, ni islamiques, mais grecques!, et avec les mêmes résultats brillants. Les avant-gardes, Ibn Rochd chez les musulmans, Saint Thomas d'Aquin chez les chrétiens ou Maimonide chez les juifs en terre d'islam, iront fort loin. Ils sauront relativiser les dogmes, interpréter les textes sacrés autant que nécessaire, pallier leurs insuffisances, substituer à la lecture textuelle les images de l'exemple éducateur. Les plus audacieux seront souvent condamnés comme hérétiques (ce fut le cas d'Ibn Rochd) par les interprètes conservateurs au service des pouvoirs. Mais qu'importe. La société européenne en mouvement vit selon les préceptes que ces avant-gardes recommandent; tandis que le monde musulman qui refuse de le faire est entré de ce fait dans le déclin dont il n'est pas encore sorti. Ghazali, le porte-parole du conservatisme islamique, l'ennemi d'Ibn Rochd, est resté, jusqu'à ce jour, chez les Ayatollahs ''révolutionnaires'' d'Iran comme à El Azhar ou en Arabie Saoudite, la ''référence'' définitive en toute matière.

A partir de la Renaissance, puis surtout des Lumières, l'Occident européen chrétien sort du débat ancien pour en amorcer un nouveau. Il ne s'agit plus de concilier foi et raison, mais raison et émancipation. La raison a pris son indépendance, elle ne nie pas qu'un champ puisse exister où se déploie la foi, mais elle ne s'y intéresse plus. Il s'agit désormais de légitimer de nouveaux besoins: la liberté de l'individu, l'émancipation de la société qui prend le risque d'inventer ses lois, de façonner son propre futur. La modernité réside précisément dans cette rupture qualitative avec le passé.

Cette nouvelle vision implique bel et bien la laïcité, c'est-à-dire l'abandon de la référence à la religion comme à toute autre force métasociale dans le débat sur les lois. Bien entendu les différentes sociétés bourgeoises iront plus ou moins loin, dans ce domaine comme dans les autres, selon les circonstances. Plus la révolution bourgeoise aura été radicale, plus forte sera l'affirmation de la laïcité. Plus la bourgeoisie aura fait des compromis avec des forces de l'Ancien régime, moins franche sera la laïcité.

Le christianisme moderne s'est adapté à cette transformation sociale profonde. Il lui a fallu pour cela se réinterpréter de fond en comble, renoncer à son ambition de faire régner sa loi, accepter d'inspirer les âmes des croyants dans la liberté et la concurrence de ses adversaires. Exercice bénéfique car, ce faisant, les chrétiens modernes découvraient la minceur des lois attribuées à Dieu par leurs ancêtres. Le christianisme moderne est devenu une religion sans dogmes.

Quelles qu'aient été les avancées produites par les tentatives de concilier foi et raison, n'en demeure donc pas moins nécessaire d'en reconnaître les limites. En effet les avancées se bloquent chez les musulmans et les juifs dans la problématique ancienne, et sont finalement défaites au profit d'un retour à l'orthodoxie des origines. Par contre, dans le monde chrétien occidental, ces mêmes avancées ont peut être préparé -- sans l'avoir nécessairement conçu -- leur propre dépassement.

Comment peut-on tenter d'expliquer cet avortement des uns et ce succès des autres, qui deviendront les inventeurs de la modernité? La tradition matérialiste dans l'histoire donne la priorité au développement social et suppose de ce fait que les religions -- en leur qualité d'instance idéologique -- finissent par se réinterpréter elles-mêmes pour satisfaire aux exigences du mouvement de la réalité. Cette hypothèse de recherche est certainement plus féconde que son opposé, selon laquelle les religions constitueraient des ensembles dogmatiques donnés une fois pour toutes, des invariants transhistoriques. Cette seconde hypothèse -- qui a le vent en poupe dans le moment actuel -- interdit toute réflexion sur le mouvement général de l'histoire de l'humanité prise dans son ensemble et enferme dans l'affirmation de la ''différence irréductible entre les cultures''.

Mais l'hypothèse matérialiste n'exclut pas la réflexion sur les raisons pour lesquelles certaines évolutions de la pensée religieuse se sont frayées la voie ici et pas là. Car l'instance religieuse -- comme chacune des instances constitutives de la réalité sociale (l'idéologie, le politique, l'économique) -- se meut dans sa logique propre. Les logiques de chacune des instances peuvent donc soit faciliter leur évolution parallèle, assurant l'accélération du changement social, soit entrer en conflit et bloquer celui-ci. Dans ce cas qui l'emportera? Il est impossible de le prévoir; et c'est dans cette sous-détermination que réside la liberté des sociétés dont les choix (soumettre telle instance particulière à la logique imposée par l'évolution d'une autre) façonnent l'histoire réelle.

Cette dernière réflexion -- cette hypothèse de sous-détermination -- nous permettra peut-être alors d'avancer dans la réponse à la question posée ici. Le judaïsme et l'islam se sont constitués historiquement par l'affirmation que la société (juive ou musulmane) est une société dont le roi véritable est Dieu. Le principe de la ''hakimiya'', réintroduit par les fondamentalistes musulmans de notre époque, ne fait que réaffirmer ce principe, avec la force la plus extrême, pour en tirer toutes les conclusions possibles. De surcroît, le judaïsme et l'islam donnent à leur texte sacré d'origine (la Torah et le Coran) l'interprétation la plus forte possible: aucun mot n'y est superflu. Au point que les hommes de religion, dans les deux cas, ont toujours exprimé des réserves très fortes à l'égard de toute traduction du texte, hébreu et arabe en l'occurrence. Les peuples juifs et musulmans sont des peuples de l'exégèse. Le talmud chez les juifs, le Fiqh chez les musulmans n'ont pas leur équivalent dans la lecture des Evangiles.

Ce double principe judéo-islamique explique sans doute beaucoup des aspects visibles de ce qu'ont été les sociétés juives et musulmanes. Car les textes sacrés peuvent alors être lus comme des recueils de lois -- et même des constitutions (l'Arabie Saoudite proclame que le Coran est la constitution politique de l'Etat) -- qui règlent tous les détails de la vie quotidienne (le droit des personnes, le droit pénal, le droit civil, les liturgies), invitent le croyant à ''renoncer à sa volonté propre pour se soumettre intégralement à celle de Dieu'' comme on l'a écrit à maintes reprises, imaginent cette vie comme devant être réglée dans tous ses détails comme dans un couvent.

La conciliation foi-raison se déploie dans les limites imposées par ce double principe, tant chez le musulman Ibn Rochd que chez son contemporain juif Maimonide. Et dans les deux cas, la réaction traditionaliste l'emporta, avec le retour au Kalam chez Ashari et Ghazali, à l'exégèse talmudique préconisée par Judah Halevy. Dans les deux cas, on proclamera donc que la certitude réside dans la révélation et non dans la raison. La page de la philosophie était tournée chez les musulmans et chez les juifs. Accompagnant la stagnation, puis le déclin des sociétés musulmanes, cet avortement de la réforme religieuse devait par la force des choses, et dans les deux cas, se solder par l'accentuation du caractère formaliste, légaliste et ritualiste de l'interprétation de la religion. La compensation à cette forme d'appauvrissement a été trouvée, dans les deux cas, par le développement de sectes mystiques, soufis musulmans et cabbalistes juifs qui, d'ailleurs, ont largement emprunté leurs méthodes aux traditions venues de l'Inde.

Si le christianisme s'est finalement avéré plus flexible et si, de ce fait, l'enfermement dans les horizons de la conciliation foi-raison a pu être brisé, c'est peut-être, en partie tout au moins, pour les raisons invoquées plus haut: parce que le christianisme ne se proposait pas d'établir le royaume de Dieu sur terre, parce que les Evangiles ne s'érigeaient pas en système positif de lois. On peut alors comprendre le paradoxe suivant: bien que l'Eglise catholique soit fortement organisée et qu'il y a une autorité officielle qui peut imposer son interprétation de la religion, celle-ci n'a pas résisté aux assauts de la nouvelle problématique séparant la raison de la foi, et c'est le christianisme qui a dû s'adapter à la nouvelle conception émancipatrice de la raison, tandis que l'absence d'une telle autorité dans l'islam postérieur au Prophète et dans le judaïsme depuis la destruction du Temple et la dispersion du Sanhédrin, n'a pas gêné le maintien de l'orthodoxie des origines.

Les juifs de la diaspora en terre d'Europe ne pouvaient pas ne pas être affectés par la transformation radicale de la société et des conceptions du rapport entre celle-ci et la religion. Moïse Mendelsohn tente donc, au 18ème siècle, d'emboîter le pas et de faire, dans le judaïsme, une révolution analogue à celle dans laquelle la société chrétienne était engagée. En interprétant librement la Torah dans laquelle il ne voit plus une législation obligatoire, mais seulement une source d'inspiration où chacun peut puiser selon son gré, Mendelsohn s'engageait dans la voie de la laïcisation de la société. L'évolution de la société européenne elle-même contribuait à faciliter cette assimilation des juifs, dont la ''nation'' est déclarée défunte par la révolution française qui ne connaît que des citoyens, éventuellement de confession israélite. Dès lors le risque était grand que la judaïté disparaisse progressivement dans l'indifférence que la bourgeoisie israélite d'Europe occidentale et centrale partageait avec toute sa classe, y compris dans ses fractions de croyants chrétiens.

L'antisémitisme persistant -- pour toutes sortes de raisons religieuses ou simplement politiques --, surtout en Europe orientale, ne devait pas permettre à la Réforme de triompher dans le judaïsme comme dans les populations d'origine chrétienne. Se dessine alors une contre-réforme, qui se développe dans les ghettos, et prend la forme du hassidisme permettant aux juifs de trouver une compensation à leur statut infériorisé en assumant leur humiliation pour l'amour de Dieu.

La culture du monde moderne n'est plus ''chrétienne'', ni ''judéo-chrétienne'' comme on l'écrit désormais dans les médias contemporains. Cette dernière expression n'a d'ailleurs strictement aucun sens. Comment alors en expliquer l'usage répandu? Très simplement à mon avis: l'Europe chrétienne avait été fortement anti-juive (on a dit antisémite lorsque la référence à la pseudo ''race'' a été substituée à la religion, au 19ème siècle) pour des raisons dont la discussion entraînerait hors du cadre de ces réflexions. Tardivement, après que l'antisémitisme ait conduit aux horreurs du nazisme, l'Europe, saisissant alors la dimension de son crime, adoptait cette expression de judéo-chrétien dans une intention sympathique et louable de déraciner son antisémitisme. Il aurait été bien plus convaincant de reconnaître directement les contributions décisives de tant de penseurs ''juifs'' aux progrès de l'Europe. Les guillemets sont utilisés ici parce que tout simplement la culture moderne n'est ni chrétienne, ni judéo-chrétienne: elle est bourgeoise.

Le critère s'est déplacé du champ régi par le vieux débat (concilier la foi -- une religion -- et la raison), pour se situer sur un terrain qui ignore la religion. Les penseurs modernes ne sont donc fondamentalement ni chrétiens, ni juifs, ils sont bourgeois, ou au delà, socialistes, même lorsqu'ils sont de surcroît chrétiens ou juifs. La civilisation bourgeoise n'est pas la création du christianisme -- ou du judéo-christianisme. A l'inverse, ce sont le christianisme et le judaïsme des juifs d'Europe occidentale qui se sont adaptés à la civilisation bourgeoise. On attend de l'islam qu'il le fasse à son tour. C'est la condition pour que les peuples musulmans participent au façonnement du monde et ne s'en excluent pas d'eux-mêmes.

Samir AMIN, économiste, ancien professeur à l'Université de Paris et actuellement directeur du Forum du Tiers-monde à Dakar. Il est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages d'économie marxiste, tel que _La Déconnexion_, Paris, La Découverte (1986), _Les défis de la mondialisation_, Paris, L'Harmattan (1996), _Critique de l'Air du Temps_, Paris, L'Harmattan (1998), de même qu'un livre intitulé _l'Eurocentrisme_, Paris, Anthropos (1988), consacré aux aspects culturels des dominations économiques et notamment des rapports entre l'islam et le christianisme. ADRESSE: Forum du Tiers Monde, B.P. 3501, Dakar, Sénégal. [email: ftm at syfed.refer.sn] Amin: Judaïsme, christianisme, islam 561

<http://www.sagepub.co.uk/journals/details/issue/sample/a010493.pdf> *****

Cf. Samir Amin, "Political Islam," _CovertAction Quarterly_ 71 (Winter 2001), pp. 3-6, <http://www.loompanics.com/Articles/PoliticalIslam.html>. -- Yoshie

* Calendar of Events in Columbus: <http://www.osu.edu/students/sif/calendar.html> * Anti-War Activist Resources: <http://www.osu.edu/students/sif/activist.html> * Student International Forum: <http://www.osu.edu/students/sif/> * Committee for Justice in Palestine: <http://www.osu.edu/students/CJP/>



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