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> Date: 2005年11月10日 7:47:32:JST
> To: multitudes-infos at samizdat.net
> Subject: [multitudes-infos] La meute, l'émeute et l'impasse
> Reply-To: multitudes-infos at samizdat.net
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> La meute, l'émeute et l'impasse
> par DiverCité, Ici et Là-bas et le MIB
>
> mercredi 9 novembre 2005
>
> Depuis plus d'une semaine en France, voitures et écoles se
> consument, des
> pneus éclatent, des cocktails Molotov explosent, des jeunes des
> classes
> populaires, issus ou non de l'immigration postcoloniale, ne
> dissimulent plus
> leur envie d'en découdre avec la République française " une et
> indivisible
> ". Ils n'ont jamais été les bienvenus, à moins de laisser
> derrière eux -
> après une heure de bus - leur culture, leur religion et leur
> histoire. Après
> trois morts, dont deux suspectes, les familles restent dignes, les
> quartiers
> populaires sont submergés par l'émotion, la colère, la rage et le
> deuil,
> comme ils ont trop souvent l'habitude. Toutes les nuits sont
> hantées par le
> bruit, les odeurs, et la lumière jaune. C'est l'émeute : " un
> soulèvement
> populaire, généralement spontané et non organisé, pouvant
> prendre la forme d'un
> simple rassemblement tumultueux accompagné de cris et de bagarres
> ", nous
> dit le dictionnaire.
> De l'autre côté de la fameuse " fracture sociale ", les forces de
> l'ordre,
> flashballs à la main, hurlent et insultent les familles qui sont aux
> fenêtres ; humilient et interpellent à tout va mères, enfants et
> vieillards
> ; n'hésitent pas à se servir de l'intimidation et de la peur
> collective pour
> faire tourner le rapport de force à leur avantage ; ne reculent
> devant rien
> pour gazer à l'aveuglette, visant aussi bien les mosquées bondées
> que les
> centres commerciaux. Des syndicats réclament l'intervention de
> l'armée
> voire, pour certains, l'application de la loi martiale. Le ministre
> de l'Intérieur
> fait preuve de politesse racailleuse, et le gouvernement est frappé
> de
> myopie politique, frappant du poing sur une table vide, où il a
> jusqu'ici
> toujours refusé de s'asseoir. La meute.
> La crise économique, sociale et politique de la société
> française est à son
> comble, et la violence prend de l'ampleur dans bon nombre de quartiers
> populaires de France. Meute et émeute se font face. Mais qu'en sait-
> on
> réellement ? Les faits semblent pourtant évidents. A la suite de
> la mort de
> deux d'entre eux, des " jeunes " mettent à feu leurs propres
> quartiers. Dès
> lors, ils sont présentés comme une organisation criminelle
> transfrontalière,
> accusés d'être manipulés par des réseaux islamistes, et soutenus
> par l'économie
> mafieuse de la drogue. Au lieu de comprendre l'origine de l'émeute,
> la
> société française mène la politique de l'autruche, en parlant de
> violences
> irrationnelles et haineuses, qu'il faut réprimer " dans la justice
> et la
> fermeté ". Les forces de l'ordre - appellation en elle-même
> paradoxale -
> essayent de rétablir le calme, le silence, ou en d'autres termes,
> l'ordre
> public. En face de cela, on nous présente le logique ras-le-bol des
> habitants " non jeunes " et leur soi-disant soutien à l'action
> gouvernementale de rétablissement de la sécurité et de l'autorité.
> Rien n'est plus trompeur.
> Tout d'abord, il faut dire clairement que derrière l'immense
> majorité des
> actes de violence, il y a des causes sociales et des responsables
> politiques, mais aussi, il faut l'admettre, des parcelles de
> légitimité.
> Même si toute violence est condamnable, force est de constater que la
> violence qui nous préoccupe depuis dix nuits n'est que le fruit de
> l'humiliation
> et de la relégation sociale qui règnent les 350 jours restants
> dans la même
> zone, sans que personne ne s'en émeuve. Les violences sociales,
> subies dans
> le quotidien et dans la chair de millions de citoyens, sont plus
> légitimes
> et respectables que les violences urbaines, qui violent la " sarko-
> sainte "
> loi de la propriété privée. Cette violence-là sert habilement
> aujourd'hui de
> parangon à ceux qui ne veulent pas voir la violence du système qui
> l'a
> engendré. Pire, elle allume des feux qui n'éclateront que plus
> tard : à la
> différence des pinèdes provinciales, en banlieue, les contre-feux
> rallument
> toujours les foyers. Faire mine de découvrir les problèmes,
> chanter la
> marseillaise pour exorciser le mal, c'est utiliser la souffrance
> exprimée
> aujourd'hui pour camoufler sa responsabilité dansson émergence. Et
> même si
> cela n'est pas dit explicitement, tout le monde le ressent.
> Un exemple ? Bien, personne ne s'interroge sur les raisons qui peuvent
> pousser deux adolescents à fuir en courrant dès qu'ils entendent
> au loin les
> bruits des talkies-walkies des policiers ? Qu'est-ce qui crée chez
> eux une
> peur instinctive, qui les poussent à escalader un mur de trois
> mètres et se
> cacher dans un transformateur EDF, alors que de l'aveu même des
> services
> judiciaires ils ne sont pas délinquants ?
> Nous y voyons pour notre part deux raisons principales. La première
> est que
> le bruit des talkies-walkies résonne dans nos têtes avec
> l'arrivée de
> problèmes en cascade : interpellation musclée, clés-de-bras
> douloureuses,
> insultes et brimades au su et au vu de tous, garde-à-vue où -
> l'histoire l'a
> amplement démontré - règne l'impunité policière, et plausibles
> inculpations
> judiciaires pour outrages et rébellions. C'est tout cela qu'évoque
> le son de
> la sirène. C'est tout cela que l'on fuit lorsqu'on a quinze ans,
> vit en
> banlieue populaire, et qu'on a rien à se reprocher.
> La deuxième raison tient aux faits et aux circonstances mêmes de
> l'incident
> de Clichy-sous-Bois. Etrangement, il n'a pas été révélé que
> l'un des trois
> adolescents électrocutés, pourtant mineur et scolarisé, ne
> disposait pas de
> papiers. Conséquence directe du durcissement de l'obsessionnelle
> lutte
> contre l'immigration illégale, dont le ministre de l'intérieur a
> été le
> principal initiateur, ce jeune a fui parce qu'il était sans-
> papiers. Il a
> fui parce que la nouvelle loi, promulguée pour mieux assimiler
> l'étranger à
> la délinquance, a fait de lui un fuyard. Il a fui pour se sauver,
> et quelque
> part, c'est la loi qui a causé sa fuite et donc sa mort.
> Monsieur Sarkozy, nous comprenons mieux pourquoi ses parents n'ont
> pas voulu
> vous rencontrer.
> Toutes ces morts viendront augmenter le deuil dans la mémoire des
> personnes
> issues de l'immigration postcoloniale. Mais au-delà de cet horizon,
> elles
> nous invitent à d'autres réflexions et d'autres propositions pour
> sortir de
> l'impasse qu'affectionnent tant, sans jamais se l'avouer, la meute
> et l'émeute.
> Excusez-vous pour toutes les insultes stigmatisant les habitants des
> quartiers. Excusez-vous pour avoir causer la mort, de manière
> volontaire ou
> non (l'enquête nous le dira), de deux jeunes adolescents, coupables
> de vivre
> à Clichy et d'être héritiers de l'immigration postcoloniale.
> Excusez-vous
> pour la profanation de la mosquée de Clichy. Imaginez-vous la
> réaction de l'
> " opinion publique " si le lieu de culte attaquée avait été une
> église ou
> une synagogue ? Tout ce que la France compte de bonne conscience
> humaniste
> aurait dénoncé, avec raison, la violation des libertés
> individuelles. Mais
> attaquez une mosquée est dans l'air du temps, le " choc des
> civilisations "
> a fait du chemin, et ni le premier ministre, ni le ministre de
> l'Intérieur,
> ni aucun membre du gouvernement n'a daigné se déplacer pour
> montrer qu'il n'existe
> pas, en France, deux poids deux mesures en matières de droits et de
> libertés.
> Mettez fin à la précarisation croissante des habitants des quartiers
> populaires. Si les notions de flexibilité, d'adaptation, de mixité
> sociale,
> d'intégration républicaine, de discrimination positive, etc. sont
> les
> maîtres mots de la classe patronale et de ses alliés à l'Assemblée
> nationale, elles signifient tout autre chose pour ceux qui ont subi
> vingt
> ans de politique néolibérale : ségrégation économique et
> spatiale, logement
> insalubre, inégalité des chances à l'école, panne de l'ascenseur
> social,
> tyrannie des contrats à durée déterminé sans perspective d'avenir,
> impossibilité de fonder une famille et de vivre dignement, tête
> coincée en
> dessous du seuil de pauvreté, séjours répétés au cachot, etc.
> Stoppez la logique sécuritaire de la tolérance zéro, le racisme
> anti-immigré
> et la culture du chiffre de la police, qui sont à l'origine de la
> tension et
> des provocations dans les banlieues populaires.
> Respectez les en tant qu'être humain, arrêtez de les insulter en les
> qualifiant de " sauvageons ", de " racailles " à nettoyer au "
> kärcher ". Ce
> langage infamant, s'il était prononcé par le borgne du Front
> National,
> serait dénoncé pour appel au meurtre et au " nettoyage ethnique ".
> Mais
> quand il sort de la bouche du ministre de l'Intérieur, l'infamie
> devient une
> ouvre de salubrité publique et devient un racisme respectable
> relayé par
> tous les médias bien-pensants.
> Cessez d'instrumentaliser l'islam et les musulmans, cessez de danser
> hypocritement avec celui que vous appelez le " diable vert " une
> fois le bal
> terminé. Arrêtez de remercier en secret les " grands frères "
> parce qu'ils
> oeuvrent pacifiquement pour la fin des violences, tout en mettant
> en garde l'opinion
> publique contre l'omniprésence de l'islamisme dans les banlieues.
> Ainsi le
> maire d'une commune de l'agglomération lyonnaise qui, avant de s'en
> prendre
> publiquement à un imam de quartier sous le coup d'une inculpation
> judiciaire
> et de se faire le défenseur d'une conception de la laïcité
> tronquée, prenait
> amicalement le train avec lui deux semaines auparavant.
> Rendez-leur leur dignité historique. Il est indispensable
> d'effectuer un
> retour critique sur le passé colonial en abrogeant la loi
> négationniste du
> 23 février 2005 portant sur " l'ouvre positive du fait colonial "
> et de
> réhabiliter l'histoire de l'immigration. Si nous ne sommes pas dans
> une
> situation strictement coloniale, les logiques de gestion et
> d'encadrement
> des populations issues de l'immigration postcoloniale persistent
> encore
> aujourd'hui dans les institutions. Abolissons-les.
> Nous ne pouvons que voir une continuité évidente avec la manière
> dont l'Etat
> appréhende aujourd'hui les émeutiers et leurs motivations, et
> celle dont
> hier il comprenait les insurgés algériens. Le recours rarissime à
> la loi de
> 1955, celle qui justifia la sanglante intervention policière du 17
> octobre
> 1961, permet rien moins que cela d'instaurer l'état d'urgence sur le
> territoire national. Ceci trahit inévitablement l'illogisme
> politicien dans
> lequel s'est enfermé le gouvernement : l'Etat ne sait ni ne veut
> avoir le
> courage de répondre politiquement à l'explosion des violences
> émeutières,
> aussi a-t-il recours à une des lois les plus liberticides de la
> législation.
> Sacrifiant les libertés sur l'autel de la sécurité, l'Etat
> sécuritaire s'exprime
> avec toute sa force. Qu'on se le dise, seront désormais justifiées
> par la
> loi : les mesures locales de couvre-feu pour tous (et pas seulement
> les
> mineurs), les interdictions de circulation en voiture, les
> interdictions de
> réunions, les fermetures de salles pouvant accueillir telles
> réunions, les
> assignations à résidence, les interdictions de séjour, les
> mesures de
> contrôles de la presse et des télécommunications, les
> perquisitions de jour
> comme de nuit, le remplacement de la justice civile par la justice
> militaire
> (un simple décret suffira pour cela)... On ne pouvait pas faire
> plus clair
> en matière de punition collective : tout les habitants des
> quartiers, déjà
> victimes premières de ces événements (soit parce que leurs
> proches en sont
> les acteurs ou soit parce que ce sont leurs biens qui en sont les
> objets)
> sont désormais privés de quasiment toutes leurs libertés
> individuelles. Un
> contrôle d'identité deviendra une rafle, une interdiction de
> séjour, un
> bannissement. Pis, ces nouvelles prérogatives marqueront pour
> longtemps,
> même après leur cessation, les pratiques policières dans les
> quartiers. En d'autres
> termes, le système d'inspiration coloniale s'auto régénère. La
> meute se
> reproduit.
> Ne confondez plus paix et pacification. Il faut des armes et des
> hommes en
> nombre suffisant pour maintenir un état de pacification, mais la
> justice est
> la condition de la paix sociale : sans justice, pas de paix.
> Paradoxalement,
> c'est cette paix que les incendiaires vous demandent d'avoir le
> courage de
> rechercher dans le langage que vous comprenez le mieux.
> Pour y parvenir, une seule solution immédiate : l'abandon de toutes
> les
> poursuites judiciaires à l'encontre des manifestants et la dispense
> de peine
> pour ceux déjà condamnés. Car il n'y aura que cette issue pour
> sortir de l'impasse,
> cette seule issue pour envisager des solutions à plus long terme,
> cette
> seule issue pour envoyer à bon port le message que tous les
> protagonistes
> responsables du feu sont désormais en mesure de l'éteindre. Cette
> idée, dont
> nous savons d'avance qu'elle nous rapportera son lot de popularité
> chez les
> populistes, n'est pas neuve, et elle n'est pas de nous. Victor Hugo
> en a été
> son plus éloquent défenseur : " Les guerres civiles s'ouvrent par
> toutes les
> portes et se ferment par une seule, la clémence. La plus efficace des
> répressions, c'est l'amnistie. "
> Les récents événements montre au moins une chose : une certaine
> police en
> banlieue n'est plus sous contrôle républicain. Au lieu de
> protéger les
> citoyens, elle installe la peur et peut provoquer la mort par ses
> provocations. Or lorsqu'une institution de la République viole ses
> propres
> principes, le devoir de tout citoyen est de prendre son destin en
> main. Si
> la police est incontrôlable, surveillons la police ! Organisons des
> comités
> de surveillance, dans chaque quartier, uniquement armé d'un code
> pénal, d'un
> calepin ou d'une caméra, pour prouver à la société française
> que les "
> racailles " savent se rassembler, réfléchir, s'organiser, et ainsi
> démontrer
> que le doigt accusateur ne doit pas être pointé sur eux, mais sur
> les
> dysfonctionnements de la société française.
> Une émeute sans débouché politique raffermit les gouvernements
> qui la
> méprise.
> DiverCité, Ici et Là-bas et le MIB
> --